Maximilien-Emmanuel de Bavière : Le prince-électeur méconnu de la guerre de Succession d'Espagne

Dans le grand théâtre de la guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), où les noms de Louis XIV, du duc de Marlborough ou du prince Eugène résonnent avec force, une figure majeure demeure trop souvent dans l'ombre : Maximilien-Emmanuel de Bavière. Prince-électeur de Bavière, gouverneur des Pays-Bas espagnols et maréchal de France, son destin tumultueux incarne les espoirs, les calculs risqués et les revers catastrophiques qui ont secoué l'Europe du début du XVIIIe siècle. Retracer son parcours, c'est découvrir un stratège ambitieux dont les choix ont profondément marqué le cours du conflit et l'avenir de ses États.

Un prince ambitieux entre deux mondes

Né en 1662, Maximilien II Emmanuel monte sur le trône électoral de Bavière en 1679. Son règne commence sous les meilleurs auspices. Jeune, brillant et guerrier, il s'illustre au service de l'Empire lors de la grande guerre contre les Turcs, notamment au siège de Belgrade en 1688. Cette loyauté envers les Habsbourg lui vaut la prestigieuse charge de gouverneur général des Pays-Bas espagnols en 1692. Installé à Bruxelles, il y mène une cour fastueuse et se révèle administrateur compétent. Pourtant, cette position à la périphérie des deux grandes puissances – la France et les Habsbourg – va le placer au cœur d'un dilemme géopolitique crucial.

Le pari français : une alliance fatidique

À la mort du dernier roi Habsbourg d'Espagne, Charles II, en 1700, l'Europe se fracture. Maximilien-Emmanuel, dont la première épouse était une archiduchesse autrichienne, nourrit des ambitions personnelles. Il espère peut-être un royaume pour lui-même dans l'éclatement de la monarchie espagnole. C'est dans ce contexte que Louis XIV, par un habile jeu diplomatique et des promesses territoriales alléchantes (notamment le Haut-Palatinat et peut-être même la couronne royale), le rallie à la cause du petit-fils de France, Philippe V d'Espagne. Pour l'Électeur, c'est un pari audacieux : tourner le dos à l'Empereur, son suzerain traditionnel, pour s'allier au roi de France. Ce choix, motivé par l'ambition et la conviction d'un succès franco-espagnol, allait sceller son destin.

Le commandant en chef sur le front du Danube

La guerre éclate. Maximilien-Emmanuel de Bavière devient un pilier de l'alliance franco-bavaroise. En 1703, il ouvre un front décisif sur le Danube, en alliance avec le maréchal français Villars. Leur objectif : menacer Vienne, le cœur des possessions des Habsbourg. Les campagnes sont d'abord victorieuses. L'Électeur se révèle un commandant courageux et populaire auprès de ses troupes. Cependant, la stratégie est risquée. Elle expose directement la Bavière aux représailles impériales et dépend du soutien constant de la France, dont les armées sont engagées sur d'autres théâtres d'opérations.

Le désastre de Höchstädt et la perte de la Bavière

L'année 1704 marque un tournant tragique. Pour contrer la menace bavaroise, les coalisés (Angleterre, Provinces-Unies, Empire) envoient une armée anglo-autrichienne commandée par le duc de Marlborough et le prince Eugène de Savoie. Le 13 août 1704, à Blenheim (Höchstädt), les armées franco-bavaroises subissent une défaite écrasante. Les conséquences pour Maximilien-Emmanuel sont immédiates et terribles. Contraint de fuir, il voit ses États envahis et mis à sac par les troupes impériales, qui y imposent une lourde occupation. L'Électeur est mis au ban de l'Empire, déchu de ses titres et droits. Il devient un prince en exil, réfugié aux Pays-Bas puis en France.

L'exil et la rédemption tardive

Pendant près de dix ans, Maximilien-Emmanuel de Bavière vit en exil, principalement à la cour de Versailles puis à Mons. Il continue à servir comme maréchal de France, commandant avec bravoure les armées de Louis XIV, notamment lors de la victoire de Denain en 1712. Mais son objectif suprême reste la restauration sur le trône de Bavière. Les négociations de paix, qui aboutiront aux traités d'Utrecht (1713) et de Rastatt (1714), sont pour lui une épreuve. La Bavière est un enjeu secondaire pour les grandes puissances.

Finalement, grâce à la ténacité de ses diplomates et au revirement de l'Empereur Charles VI qui a besoin de soutien, il recouvre son électorat par le traité de Baden (1714). Son retour à Munich en 1715 est celui d'un souverain meurtri. Son pays est ruiné, sa population décimée. Les dernières années de son règne sont consacrées à une œuvre patiente de reconstruction économique et culturelle, tentant de redonner à la Bavière son lustre d'antan.

L'héritage contrasté d'un électeur méconnu

Maximilien-Emmanuel de Bavière laisse l'image d'un prince à la fois visionnaire et tragique. Son ambition de hisser la Bavière au rang de puissance royale l'a poussé à prendre des risques démesurés. Son choix d'alliance, bien que compréhensible dans le contexte de rivalité européenne, s'est révélé désastreux pour ses États. Brillant soldat mais peut-être moins fin politique, il a sous-estimé la résilience de la coalition et la vulnérabilité de sa position géographique.

Pourtant, son rôle fut capital. Sans son ralliement à la France et l'ouverture du front du Danube, la guerre de Succession d'Espagne aurait pris un visage très différent. Son destin résume à lui seul les dynamiques de la guerre : les ambitions des princes moyens, l'importance des alliances et le coût effroyable des défaites. En cela, Maximilien-Emmanuel de Bavière mérite de sortir de l'ombre de l'histoire pour être reconnu comme l'une des figures les plus complexes et les plus pathétiques de ce conflit fondateur du XVIIIe siècle européen.